Les marins d’eau douce

On n’a pas besoin d’aller loin pour voyager. Pas besoin de partir très longtemps non plus.

L’histoire que je m’apprête à vous raconter a commencé l’hiver passé. Pas l’hiver qu’on vient juste de passer là, mais l’autre d’avant… Le vrai hiver. Celui où y’a fait tellement frette que le fleuve a gelé.

Gab nous parlait de son voilier, un soir autour d’une bière.

-Gab: Ce serait cool que tu viennes faire un tour sur mon voilier au printemps. Je vais être à Saint-Ours pis je vais avoir besoin de matelots pour le ramener dans le Vieux Port. Amène ton ordi si tu veux travailler. C’est chill.

 

-Moi: Ah ouais ! Ce serait cool.

Enfin, c’est resté de même. Tsé, c’est le genre d’affaire qu’on dit dans une soirée bien arrosée, avec l’alcool qui se digère et l’hiver qui passe, l’idée fond, et ça tombe dans l’oubli et on en reparle plus. Tu vois le genre ?

Quelques mois plus tard, ça a l’air que Gab s’en rappelait. Il m’envoie un texto:

– Gab: Prêt matelot ?!! 

C’était le call de l’aventure. Je n’avais à peu près jamais mis les pieds sur un voilier ni jamais navigué sur le fleuve St-Laurent. Je n’allais pas laisser passer l’occasion. J’ai plié mon laptop et je suis parti.

Le départ de St-Ours

Le plan était simple. On allait descendre tranquillement le Richelieu jusqu’à Sorel. Rendu là, on allait remplir la glacière de bière pis de vin, puis on irait s’ancrer quelque part entre les îles. Le lendemain on aurait le temps de travailler un peu chacun de notre côté, on installerait les voiles et on naviguerait un peu dans le secteur avant d’aller ramasser Ariane quelque part sur le bord du fleuve, on sais pas trop où, en s’en allant vers Montréal.

Sur le Richelieu entre St-Ours et Sorel
Sur le Richelieu entre St-Ours et Sorel

La mise à l’eau avait bien été, on descendait le Richelieu avec un bon rythme et il ne semblait pas y avoir quoi que ce soit pour nous arrêter, quand Gab soulève une question assez fondamentale merci:

-Gab: Heille j’espère que le mat va passer en dessous du pont!

 

-Moi: Heu, pis comment tu vas faire, mon capitaine, pour savoir si tu vas passer sans tout péter ?

 

-Gab: Faudrait connaître le niveau de l’eau, mais là je sais pas trop… Faque on va l’essayer…. Pis y rajoute: je pense que je vais m’essayer su’l reculons! 

J’exagère rien en affirmant qu’on est passé à un poil de faire la manchette des journaux «Deux marins d’eau douce arrachent le pont à Sorel».

Soirées de marins à Sorel

On a finalement réussi à passer le pont et à atteindre l’ultime point de ravitaillement de tous les flibustiers de la région, soit la SAQ de Sorel avant d’aller s’ancrer dans le fleuve St-Laurent, entre les îles. Ça a été une soirée bien arrosée, à jaser, à fumer et à pisser par-dessus bord. Une soirée sans prétention entre marins.

Le lendemain matin, c’était moins drôle pas mal: le mal de tête, la grêle, le vent…. Oooooh boy. Notre journée de navigation prenait le bord pas mal. La température était si mauvaise… On annonçait un petit 2°C alors qu’on était en mai. On a donc pris la décision de rester là, d’embarquer Ariane à Sorel et de partir seulement le lendemain pour Montréal.

Iphone et hauts fonds

La journée suivante, avec la température plus clémente, on a setté le GPS et on est finalement parti.

Là je vous entends tous rigoler:

Lol, un GPS su’l fleuve! Aviez-vous peur de vous tromper de chemin?!?!

Vous savez, quand on regarde le fleuve, ça a l’air facile d’y naviguer. Après tout c’est une des plus grandes route du monde. Quand tu vois l’étendue d’eau qu’on a là, c’est tellement grand, tellement large que t’as l’impression que de l’eau, t’en as à l’infini: à gauche à droite pis en dessous. Ça a l’air creux!!!!….mais pas pantoute. Le fleuve, c’est un labyrinthe de hauts fonds. T’as pas intérêt à rater une bouée. C’est pas pour rien que les navires commerciaux doivent embarquer un pilote-badass rendu à Rimouski. Alors oui, on se promène avec un GPS… Enfin, on a eu un GPS durant les deux premières heures. Après ça, il s’est éteint. Tap tap sur le GPS… Fuck, y marche pu. Pour la deuxième fois du trajet, je me voyais sur le front page du Journal de Montréal «Des marins d’eau douce s’échouent sur un haut fond dans le fleuve». On était encore tellement  loin de Montréal…

Par chance, on est trois jeunes gens débrouillards. Personne ne sait se servir d’une carte ni d’un sextant. Personne ne peut nommer une seule étoile, mais on est des enfants de la technologie.  On est jamais vraiment mal pris tant qu’on a un cell qui marche. Alors c’est armé d’un iPhone et d’un peu de ficelle qu’on a pu s’en sortir.

Le pointage: GPS 0 - iPhone 1
Le pointage: GPS 0 – iPhone 1

Le mini naufrage

Suite à ça, on a passé en coup de vent devant Contrecœur, Lanoraie, Repentigny, Verchères… Ça allait trop bien. Faque un moment donné Gab lâche:

Ça va bien trop bien! Faudrait bien qu’y’arrive de quoi!…

5 minutes plus tard, alors qu’on commence à apercevoir Montréal au loin: BAM. On pogne le fond.

Gab: Quessé ça !!

Ariane: Je sais pas! pourtant je regardais notre position sur le iPhone. Je nous tenais en plein dans la zone bleu foncé….

Gab: C’parce que le bleu c’est le sable… Plus c’est foncé, plus le fond est haut. Faut naviguer sur la zone blanche.

Ariane: …ah!

C’est un drôle de feeling d’être sur un bateau au beau milieu d’une grande étendue d’eau comme le fleuve, mais de ne plus flotter. Le bateau ne tanguait plus. Il était bien assis dans le sable. Finalement mon front page sur le Journal de Montréal allait peut être se concrétiser.

Faque on s’est mis à trois pour swigner le bateau d’un bord pis de l’autre:

Tout le monde en cacophonie: À bâbord!!!! À tribord!!! À go on saute!

Un moment donné y’a une petite vague qui est passée, juste assez pour soulever le voilier un peu, et on est reparti, soulagé de ne pas avoir eu à appeler la garde côtière.

On commence a apercevoir Montréal au loin
On commence à apercevoir Montréal au loin

Montréal

L’arrivée à Montréal par le fleuve est spectaculaire. On est habitué d’y entrer par le pont Jacques-Cartier, mais en fait, passer sous le pont c’est la route originale. C’est par là que les premiers sont arrivés.

C’est là que tu te rends compte de toute la puissance du fleuve et que tu comprends pourquoi les premiers colons se sont arrêtés à Pointe-à-Callière. C’est qu’à cette hauteur, le fleuve forme un entonnoir si étroit, à peine quelques centaines de mètres de large, et toute l’eau des Grands Lacs s’y déverse dans ta face. C’est le courant Ste-Marie. Impossible d’aller plus loin. Ça adonnait bien, pour nous, c’était la destination finale… mais je comprends quand même les premiers colons d’avoir eu le goût d’explorer plus loin. Le fleuve est intriguant. Ça me donne d’autant plus le gout de l’explorer à nouveau, sur l’eau et sous l’eau.

Je suis rentré à la maison avec l’impression d’avoir découvert une partie du St-Laurent. La partie qui se trouve dans ma cour en plus. Avant ça, ça avait toujours été juste une coupure entre la rive nord et la rive sud. Mais quand tu te promènes dessus, quand tu sens la masse d’eau qui se déplace sous toi, quand tu sens la résistance du courant et du vent qui te repousse, le fleuve impose le respect.

Finalement pour le travail, ça a été moyen… Mais pour la photo ça a été productif. Je suis revenu avec 32000 photos. Oui oui. 32000. Pour t’éviter de devoir scroller à travers les 32000 images, je t’ai mis ça bout à bout pour te présenter ce time-lapse de notre épopée sur le fleuve, comme ça tu vas pouvoir faire le trajet en quelques minutes, à l’abri du vent, de la grêle et des hauts fonds.

Enjoy.

 

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Noémi Laganière

Noémi Laganière

Plongeur depuis vraiment pas longtemps. Graphiste et photographe, passionné de voyage et d’aventure, randonneur infatigable, coureur de longues distances et ami des chiens.

3 commentaires

  1. C’est vraiment bon Poisson Clown!
    Vous êtes de très bons navigateurs avec plein d’ingéniosité…que de surprises dans une expédition!
    Tu es un très bon raconteur et photographe. À la prochaine!

  2. Noémi ! je ne sais pas quel sorte de poisson tu es. Un écrivain avec le sens de l’humour ou un humoriste qui écrit mais c’est un délice de te lire.

    Super bonne idée votre blog. Ariane à quant la suite de ton voyage en Afrique. J’ai adoré ton article sur le clic.

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