La Nariz del Indio
La Nariz del Indio est un sommet d’un peu plus de 2800m, avec un mirador qui se trouve à environ 2500m. On appelle ça le Indian Nose parce que le profil de la montagne ressemble au visage de quelqu’un couché sur le dos, et que ce sommet-là fait office de nez. Le meilleur moment pour s’y rendre est juste avant le lever du soleil, pendant qu’il fait encore noir. On assiste alors depuis le mirador à un lever de soleil avec une vue imprenable sur tout le lac Atitlan.
Plusieurs chemins sont possibles pour s’y rendre. Avec quelques informations et à la lumière du jour, on aurait pu y aller par nous même. Par contre, étant donné qu’on voulait y monter de nuit on a préféré engager un guide. Puisque les prix dans les agences qui offrent des excursions sont très variables, ça peut passer du simple au double pour la même visite, on en a donc fait une tournée de celles qui proposaient un tour sur la montagne, jusqu’à ce qu’on arrive à une petite agence, dont le nom m’échappe, loin de la rue principale. Non seulement le tarif était pas mal moins cher, mais en plus en choisissant une agence plus éloignée, on s’est retrouvé seul avec notre guide au lieu d’être avec un groupe.
C’est donc à 3h qu’on a fait sonner le cadran ce matin-là pour aller rejoindre Salvador devant la porte de l’agence, sur une petite rue sans lumières, avant même d’avoir avalé un café. On a traversé une bonne partie de la ville à pied sans rien se dire ou presque… Visiblement, Salvador était un homme de peu de mots. Habituellement, quand on book un tour dans une agence, et que finalement on se retrouve en trop petit nombre, les agences se match entre elles pour booker leur transport en collectivo. Nous étions donc certains qu’on allait rejoindre un autre groupe… Mais arrivant devant notre monture: surprise!! Cette fois-ci, on allait faire la route en chicken bus !
Les chicken bus
Les “chiki bousse” comme ils disent là bas, ce sont en fait de vieux autobus scolaire… Mais n’allez pas vous imaginer un banal autobus jaune là. Nonon! Les Guatémaltèques aiment ça pimper leurs autobus avec des couleurs vives, du chrome partout, du lettrage à la gloire de dieu à la grandeur du pare-brise… Parfois ils leur donnent un petit nom, comme on ferait pour un bateau. Ils choisissent généralement un nom de femme, parce que c’est plus sexy pour un autobus.
Chaque bus a aussi son crieur. Le crieur reste debout dans la porte, agrippé d’une main, le corps à moitié sorti de l’autobus. Sa job, c’est de prendre les paiements, mais surtout de gueuler la destination du bus à qui veut bien l’entendre. Quand les chicken bus se rencontrent sur les coins de rues, on entend alors une drôle de chorale:
Chichi, Chichi, Chichicastnaaangoooo !!!
Xela, Xela, Xeeeeeelaaaaaa!!! (On entend Tchéla, Tchéla!)
Pana! Pannnnnnnna! Pana! Pana! Pannnnnnaahhhaa!
Ils ont chacun leur style…
Le crieur est aussi utile sur les petites routes de montagne. Quand on prend un virage serré, c’est lui qui débarque pour juger si le bus peut passer entre un nid de poule géant et le précipice. Dans ce temps-là, ta vie dépend de lui. C’est débile.
À 3h30 du matin, le bus est presque plein. L’expérience est totale: on en a plein les yeux, on ne comprend rien de ce qui se dit, et ça sent les humains tassés comme des poulets. Autour de nous, on parle presque exclusivement tz’utujil. On est les deux seuls gringos. Beaucoup de gens partent à cette heure-là pour faire deux ou trois heures de route, pour aller travailler dans les plus grosses villes comme Xela ou Chichicastenango. Nous, on allait faire seulement quelques kilomètres qui nous prendraient environ 1h. On allait débarquer en haut de la côte, à Santa Clara sur un chemin de campagne au milieu de nulle part, juste devant une trail qui se perdait dans la nuit.
Le reste du trajet jusqu’au mirador doit se fait à pied. On prévoit autour de 45 minutes pour parcourir le trajet. Avant de me lancer sur le sentier, en allumant ma lampe frontale, je jette un dernier coup d’oeil vers Salvador qui jusqu’ici n’avait à peu près pas dit un mot: Ouais, ça a l’air d’un bon gars. Go!
La randonnée
Le sentier parcours quelques centaines de mètres sur le plat au travers des champs de maïs et de frijoles, parsemés d’avocatiers ici et là, avant de devenir très étroit et de commencer à montrer rapidement. Très rapidement. Des cordes et des échelles rudimentaires en bois ont été installées pour franchir les quelques petites sections les plus raides. En arrivant en haut, quelques locaux qui ont du se sont levé à une heure pas possible, nous attendent avec un feu et du café. Quelques petits groupes se retrouvent alors sur le mirador pour regarder les premiers rayons de soleil sur le lac et les volcans. On peut alors voir tous les villages illuminés autour du lac entouré par les volcans San Pedro, Atitlan et Toliman. Au loin, on peut voir aussi loin que la région d’Antigua où on aperçoit les volcans Agua, Fuego et Acatenango.
L’aventure…
Le retour devait être une répétition exacte de l’aller, mais en sens inverse et à la lumière du jour… Ça devait être facile. Finalement, ça s’est compliqué un petit peu. Alors que nous attendions le passage du prochain chicken bus, on a été cordialement invité à monter sur le collectivo d’un autre groupe qui visitait aussi le sommet et qui retournait à San Perdro. Le collectivo était déjà plein à craquer, mais je vous ai dit que dans un collectivo on pouvait embarquer un nombre infini de personnes? Trois personnes de plus ou trois personnes de moins, ça ne change absolument rien. Alors on embarque et on s’engage sur la route qui commence avec une descente de fou, avec toute une série de virages en épingle. On roulait juste derrière un camion poids lourd et en le voyant négocier un virage en même temps qu’un nid de poule notre chauffeur s’exclame:
Por Dios! Este chico no parece conocer el terreno!
Puis au même moment: Bang ! Le truck rate sa courbe et se retrouve le nez accoté dans le garde-fou au bord de la falaise. Moi mon coeur se serait arrêté, mais pour ces chauffeurs-là, c’est autant de la routine que de rester pris dans la neige pour toi pis moi… À ce moment-là, le camion bloque complètement la route. Le chauffeur, toujours calme essaie de se reprendre, mais plus rien ne bouge. En avant c’est le vide, et en arrière la pente est plutôt intense, et c’est sans parler de la courbe qui le met échec et mat… Tranquillement les voitures et les collectivos commencent à s’accumuler d’un bord pis de l’autre. Les curieux débarquent pour voir ce qui se passe. Tout le monde y va d’un petit conseil:
Pone el gaz!
Gire las ruedas por aya!
Tous ensemble, ça pousse, ça tire, ça prie. Le plus «ingénieux» se couche en dessous des roues pour installer des traction aids qu’il fabrique avec des petites branches des feuilles de blé d’Inde. Quand ils réussissent à remonter le truck de quelques centimètres, ils le bloquent là en glissant un caillou devant les roues. L’autre ingénieux se glisse à nouveau entre les deux roues pour dégonfler un pneu et rajouter une poignée de garnotte sur ses feuilles de blé d’Inde, en espérant leur donner du torque…
Heille chose, buen plan para morir!
Salvador, qui jusqu’ici n’avait toujours pratiquement pas dit un mot, nous regarde:
Caminamos amigos?
À pied, la route jusqu’au village me paraissait longue en maudit. On avait mis 1h pour monter jusqu’ici en autobus. Mais je venais de voir trois femmes, pas jeunes, partir à pied avec chacun panier plein de poules sur la tête… Ça fouette la virilité.
Shit, si elles peuvent descendre au village avec ça sur la tête!… On va les rattraper ce sera pas long. Vamos!
Ça nous a finalement pris 2h pour se rendra à San Pablo… Ça parait long comme ça, mais ça nous a laissé le temps de briser la glace avec Salvador. En fait, quand on a commencé à lui parler un peu de nous, et quand on a commencé à lui montrer de l’intérêt pour sa langue première, le tz’utujil, il est devenu soudainement plus bavard, prêt à tout nous montrer. Ça a passé sans qu’on s’en rende vraiment compte à jaser de tout et de rien. Finalement, on n’a jamais rattrapé les poules… mais le camion ne nous a jamais rattrapés non plus!
Rendu à San Pablo, on se pensait bien au bout de nos peines. Il ne nous restait plus qu’à accrocher un tuk-tuk et à demander une ride jusqu’à San Pedro. Notez la nuance: San Pablo, c’est pas San Pedro! Donc on embarque sur le premier tuk-tuk qu’on voit, squeezé à 3 avec Salvador sur le banc d’en arrière, et on se dirige vers San Pedro. Mais après à peine quelques minutes de route en zig-zag au travers des nids de poules, le chauffeur s’arrête. La route est bloquée ici: Un éboulis…
Finalement on a fini ça à pied. On est rentré à San Pedro vers 9h30, ravi de notre matinée, mais épuisé et prêt pour le déjeuner!
Bonne route a vous deux.
Souvent, souvent-souvent je vous envie!
Magnifiques photos!
Très intéressant de vous lire, tout en souriant beaucoup 😉